Penthésiléa/ Versions
Recréer un moment d’espace-temps théâtral suspendu –« l’œil du cyclone » – au centre même du flux et reflux
incessant de notre société et des catastrophes qu’elle produit. L’espace-temps à la fois perturbateur et décalé du
Japon me paraît propice à un travail de confrontation qui s’inspirera de la pièce Penthésilée de Heinrich von Kleist
– une « pièce de guerre » écrite par un « auteur de la catastrophe » (Hans-Thies Lehmann).

L’auteur allemand a écrit pour un théâtre, pour une scène qui n’existait pas – dans une langue - et une diction -
comprimée, mais extrêmement« chargée » par son contenu, Kleist a écrit un rêve théâtral.
Un rêve théâtral qui, peut-être, trouverait sa juste expression, son expression optimale, à travers un concept qui
s’éloignerait radicalement de la narration dramatique, qui pratiquerait un jeu corporel qui séparerait et réduirait
les différents niveaux de récit, de gestus, de son et de danse afin de mieux porter les extrêmes qui soutiennent
le texte de Kleist.
Les possibilités du théâtre japonais et plus particulièrement celles du Bunraku ne seraient-elles pas de cet
ordre-là : « prenez le théâtre occidental des derniers siècles ; sa fonction est essentiellement de manifester ce
qui est réputé secret (les « sentiments », les« situations », les « conflits »), tout en cachant l’artifice même de la
manifestation (la machinerie, la peinture, le fard, les sources de lumière). La scène à l’italienne est l’espace de
ce mensonge : tout s’y passe dans un intérieur subrepticement ouvert, surpris, épié, savouré par un
spectateur tapi dans l’ombre. Cet espace est théologique, c’est celui de la Faute. (…) Le Bunraku ne subvertit
pas directement le rapport de la salle et de la scène (encore que les salles japonaises soient infiniment moins
confinées, moins étouffées, moins alourdies que les nôtres) ; ce qu’il altère, plus profondément, c’est le lien
moteur qui va du personnage à l’acteur et qui est toujours conçu chez nous, comme la voie expressive d’une
intériorité. (…) Avec le Bunraku, les sources du théâtre sont exposées dans leur vide. Ce qui est expulsé de
la scène, c’est l’hystérie, c’est-à-dire le théâtre lui-même ; et ce qui est mis à la place, c’est l’action nécessaire
à la production du spectacle : le travail se substitue à l’intériorité. » (Roland Barthes, L'Empire des signes)
Crista Mittelsteiner
/ Historique